Séparation conseil et vente : le flop
Persistance du conseil spécifique par les vendeurs, conseil stratégique embourbé, effets contre-productifs… La mission parlementaire a fait part cet été de l’échec de la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires. En parallèle, un nouveau plan Ecophyto est attendu à la rentrée.
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Si avant la mise en place du dispositif, 64 % des agriculteurs déclaraient, au travers d’une enquête Agrodistribution-ADquation réalisée en 2017, que séparer le conseil de la vente des produits phytosanitaires était une bonne idée, aujourd’hui les avis sont tout autres. D’après notre sondage réalisé au mois de juillet, 61 % des agriculteurs interrogés estiment que cette séparation est désormais une mauvaise idée, et plus particulièrement les exploitations du Nord-Est et en grandes cultures (lire infographie ci-dessous).
Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2021, la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques a fait l’objet d’un grand nombre de contestations au sein du milieu agricole. C’est pourquoi Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle, et Stéphane Travert, député Renaissance de la Manche, ont cherché au travers de la mission parlementaire lancée début mai 2023 à comprendre et analyser les critiques formulées. Les deux rapporteurs ont ainsi entendu les différents acteurs concernés : coopératives, négoces, chambres d’agriculture, associations environnementales, acteurs du conseil indépendant, administrations, syndicats agricoles, etc. Le mercredi 12 juillet, le bilan est tombé et « ce n’est pas une réussite », se sont-ils désolés. Alimentés par les divers témoignages, les deux parlementaires ont proposé des pistes pour rénover le dispositif.
Une obligation peu respectée
Les auditions menées par les rapporteurs ont révélé que l’obligation de séparation de la vente et du conseil n’a pas été appliquée sur le terrain. « De nombreux vendeurs continuent, malgré l’interdiction, de pratiquer un conseil de manière informelle souvent à l’oral », constate Stéphane Travert. Les membres du PCIA (Pôle du conseil indépendant en agriculture) regrettent que « le gouvernement ne soit pas capable de faire respecter la loi, alors qu’il constate lui-même que celle-ci n’est pas appliquée ». Résultat, les agriculteurs se sont peu tournés vers le conseil spécifique fourni par le conseil indépendant. Seuls 8 336 conseils spécifiques ont été délivrés par les chambres alors que 235 000 exploitations pourraient être concernées par ce besoin. En cause ? Son coût, entre 500 et 1 500 € pour un suivi annuel selon le ministère. Mais aussi « les tensions sur l’offre et, peut-être avant tout, le fait que le conseil spécifique continue d’être donné par le vendeur, précise Stéphane Travert. Lors des auditions, les vendeurs comme les acheteurs ont souligné la difficulté pour le vendeur de respecter l’interdiction de conseil. Le négociant ou la coopérative font figure d’interlocuteurs naturels vers qui l’agriculteur va se tourner en cas de problème ponctuel dû à une relation de confiance bâtie entre eux. »
Un frein pour la transition
Une situation insatisfaisante, qui est à l’origine d’une insécurité juridique pour les vendeurs comme pour les acheteurs et qui pose des difficultés du point de vue assurantiel pour toute la filière. « La réforme a créé un flou normatif autour du rôle des conseillers qu’il convient de lever », témoigne-t-on du côté de La Coopération agricole. De plus, « elle porte des effets contre-productifs puisqu’en l’absence de conseil ou face à un conseil oral et informel, les agriculteurs se sont tournés vers un système de la “débrouille”, fondé sur des recherches internet ou des pratiques usuelles des années précédentes, et qui a conduit à des usages qui ne favorisent pas la diminution des produits phytosanitaires », déplore Stéphane Travert. Certaines coopératives ont tiré la sonnette d’alarme face aux effets contraires de la réforme.
Une situation que LCA trouve « décourageante et qui freine l’évolution des pratiques agricoles ». En effet, notre enquête Agrodistribution-ADquation révèle que 71 % des agriculteurs interrogés estiment que la séparation de la vente et du conseil ne leur a pas permis de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. Notamment pour les exploitations de plus de 150 ha de SAU et en grandes cultures.
Seuls 4 % de CSP réalisés
En outre, les auditions ont révélé les difficultés de mise en œuvre du CSP, « perçu comme une contrainte administrative inutile », retranscrit Stéphane Travert. Le nombre d’agriculteurs ayant réalisé leur conseil stratégique « est bien en deçà de ce qu’il devrait être », précise-t-il. Seuls 4 % des agriculteurs ont bénéficié d’un CSP au 22 mai 2023. Bien que le nombre de CSP dispensés par les chambres soit en forte croissance depuis 2021 (398 conseils en 2021, 3 738 en 2022, et 5 144 sur les premiers mois de 2023), ces chiffres restent nettement inférieurs aux besoins globaux, étant donné que, à terme, 235 000 exploitations sont concernées. « À ce jour, environ 200 000 exploitations n’ont pas réalisé de CSP et risquent de se retrouver dans une impasse en janvier 2024 pour le renouvellement du Certiphyto », prévient-il.
En novembre dernier, notre enquête Agrodistribution-ADquation révélait que 14 % des agriculteurs interrogés avaient réalisé leur CSP. Huit mois plus tard et à cinq mois de l’échéance, où en est-on ? En juillet 2023, seuls 21 % déclarent avoir reçu leur CSP avec une proportion plus élevée pour les exploitations en grandes cultures et de l’Ouest. La chambre d’agriculture reste le prestataire privilégié par les agriculteurs pour effectuer leur CSP. Quant aux distributeurs, s’ils étaient sollicités par 16 % des agriculteurs fin 2022, ce chiffre est tombé à 11 % en 2023. De nouveaux acteurs font également leur apparition, c’est le cas de la FNSEA et du centre de gestion.
Outre la faible quantité de CSP réalisés, les acteurs auditionnés déplorent sa médiocrité. « D’après les constats terrain, le CSP serait souvent de piètre qualité et fait exclusivement en collectif, contrairement à la loi qui précise que le conseil stratégique doit être individualisé », relève le PCIA.
Une séparation opérationnelle plutôt que capitalistique
Alors que Dominique Potier avait annoncé à nos confrères d’Agra Presse qu’en cas de résultats non probants du dispositif, il s’agirait d’y renoncer ou de le réformer, qu’en est-il aujourd’hui ? « Il faut le réparer, affirme-t-il. Nous ne remettons pas en cause la séparation de la vente et du conseil, nous la réfléchissons autrement. » Pour Christophe Grison, président de la coopérative Valfrance et membre du bureau de La Coopération agricole, « c’est une agréable surprise de voir que la mission parlementaire est en accord avec ce qui se dit sur le terrain, sur le fait que la mesure est un échec et qu’il faut la revoir ». Un sentiment partagé par Sandrine Hallot, directrice pôle Métier à la FNA : « C’est important que des acteurs objectifs prennent le temps de faire un point d’étape, prennent en compte ce qu’il se passe sur le terrain et voient que, clairement, ça ne fonctionne pas. »
Ainsi, les deux rapporteurs reviennent sur la séparation capitalistique au profit d’une séparation opérationnelle, où les distributeurs souhaitant de nouveau opérer un conseil spécifique devront créer une filiale dédiée. Une proposition qui n’est pas du goût du PCIA : « Parce que les distributeurs ont choisi la vente et continuent de faire du conseil, on changerait la loi… On marche sur la tête ! Si la séparation capitalistique était abandonnée, ce serait un retour en arrière. Pour limiter les dégâts il faudrait revenir à une facturation séparée avec un prix plancher par prestation afin qu’il ne soit pas dilué dans les marges commerciales, les subventions de fonctionnement… Aussi, la facturation séparée du conseil et de la vente doit être associée à une baisse du prix des intrants. De plus, il faudra indiquer sur la facture de façon obligatoire l’origine du conseil : conseil commercial, ou conseil séparé de la vente et de l’application des produits phytosanitaires, ou conseil indépendance élargie. »
Un nouvel élan pour les TC ?
Ainsi, les rapporteurs proposent de mettre en place une facturation différenciée afin de garantir la transparence des tarifs et offrir à l’agriculteur la possibilité de choisir entre le conseil spécifique proposé par son vendeur ou un autre conseil indépendant. Ils mettent également l’accent sur le renforcement des CEPP avec l’induction d’une obligation de résultat complémentaire à l’obligation de moyen. « Si nous rendons le conseil aux vendeurs, il est essentiel de les responsabiliser et de leur fixer des objectifs qui soient exigeants », reprend Stéphane Travert. Ainsi, l’idée d’un système de bonus/malus a été abordée.
Ils souhaitent également mener une réflexion sur la mise en place d’un ordre des conseillers en matière de produits phytosanitaires, comme au Québec. « C’est un outil qui permettrait de renforcer les règles déontologiques de la profession », souligne-t-il. Christophe Grison émet des réserves sur le modèle québécois, car il n’en a « pas eu que des bons retours » et s’inquiète sur le délai de mise en place de cette nouvelle refonte. Toutefois, il espère que cette possible réforme soit un nouvel élan pour les TC : « Avec la mise en place du dispositif, certains TC ont été déçus de voir le métier remis en question alors qu’ils accompagnaient les agriculteurs dans la transition en leur proposant des solutions alternatives. Avec ces nouvelles conditions de travail, certains d’entre eux ont fait part de leur souhait de demander une rupture conventionnelle. »
Rendre les CSP plus exigeants
Du côté du conseil stratégique, il est « embourbé », constate Dominique Potier. Selon les rapporteurs, une adaptation du calendrier va être nécessaire. « Mais, elle ne doit en aucun cas se traduire par un abandon du conseil stratégique et de ses objectifs, qui doit au contraire gagner en ambition » précise Stéphane Travert.
Sur le plan structurel, ils souhaitent revoir les référentiels du CSP pour les rendre plus exigeants, mais aussi augmenter le nombre de conseillers et, à terme, confier exclusivement cette mission aux chambres d’agriculture qui pourront nouer des partenariats avec les autres acteurs du conseil sous forme de subdélégation. « Proposer que les chambres d’agriculture supervisent le conseil stratégique est un non-sens et même un réel danger pour le monde agricole, soutient le PCIA. Ces structures ne peuvent pas à la fois toucher des subventions de fonctionnement (TAFNB et autres), faire de la prestation à titre privé, être engagées politiquement et en plus contrôler les autres structures… Qu’ils nous laissent faire notre travail, ce n’est pas celui des chambres d’agriculture qui se mettent dans la position d’une concurrence déloyale de par leurs financements publics. »
« La prescription par ordonnance »
« Les propositions que nous formulons sont des pistes de travail que nous souhaitons faire expertiser par le gouvernement, notamment dans le cadre d’un travail préparatoire qui pourrait être conduit par le CGAAER », conclut le député Renaissance de la Manche.
Toutefois, Dominique Potier met en garde : « Si d’ici 2025-2026, les propositions que nous formulons ne fonctionnent pas, il n’y aura plus qu’une seule solution, la prescription par ordonnance. Aujourd’hui, le monde agricole est vent débout contre cette proposition qui a été la trajectoire prise par l’élevage. Toutefois, nous serions amenés par la force des choses, non seulement face à l’opinion publique mais aussi face aux questions de sécurité sanitaire et environnementale, de nous poser la question de la prescription. »
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